Critique : U2 — How to Dismantle an Atomic Bomb, ou le « Shadow Album » d’un géant du rock
Sorti en 2004, How to Dismantle an Atomic Bomb est souvent présenté comme le grand retour de U2 aux sommets commerciaux, un disque conçu pour reconquérir les ondes FM après les expérimentations électroniques des années 90. Pourtant, à y regarder de plus près, cet album ressemble davantage à un shadow album dans la carrière du groupe : une œuvre qui, sous des apparences classiques, dissimule les tensions, les incertitudes et les fragilités d’un monument du rock irlandais.
Dès Vertigo, le single d’ouverture, l’intention est claire : riffs abrasifs, énergie brute, et un retour aux fondamentaux du rock. C’est efficace, mais un peu trop calculé. Le morceau, avec son célèbre « Uno, dos, tres, catorce! », sonne presque comme une autoparodie, une tentative de capter l’énergie adolescente qui, à ce stade, échappe peut-être à ces quadras désormais installés.
Là où l’album devient plus intéressant, c’est dans ses moments d’ambiguïté. Sometimes You Can’t Make It on Your Own, dédié au père de Bono, est un morceau déchirant qui dépasse le simple hommage. La voix y est moins triomphante, plus humaine, presque brisée. De même, A Man and a Woman et Crumbs from Your Table explorent des terrains plus sombres et moins radio-friendly, témoignant des doutes spirituels et politiques qui hantent encore le groupe, malgré le vernis commercial.
Musicalement, The Edge livre des performances solides mais plus contenues que dans The Joshua Tree ou Achtung Baby. Sa guitare, toujours reconnaissable, se fait ici parfois plus discrète, comme si elle hésitait entre le grand geste héroïque et le minimalisme introspectif. Larry Mullen Jr. et Adam Clayton assurent une section rythmique sans faille, mais on sent qu’ils sont au service d’une formule éprouvée, plutôt que d’une réelle prise de risque.
La production, signée Steve Lillywhite, est nette, puissante, mais elle gomme aussi les aspérités. On est loin de la rugosité d’Achtung Baby ou même des élans expérimentaux de Zooropa. C’est un disque qui veut plaire, sans trop bousculer. En ce sens, How to Dismantle an Atomic Bomb est le négatif parfait de leurs albums les plus audacieux : un album de lissage, là où U2 a souvent brillé en cassant ses propres codes.
Au final, cet album agit comme une ombre portée sur la discographie de U2. Il rassemble des éléments familiers mais les réassemble avec une prudence presque anxieuse. Ce n’est pas l’explosion atomique promise par le titre, mais plutôt un désamorçage en douceur, à peine perceptible. Et c’est justement cette tension entre le spectaculaire affiché et le doute sous-jacent qui rend ce disque fascinant, même si ce n’est pas leur plus grand chef-d’œuvre.
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